Dans quel état j’erre ?
Repassons plutôt nos leçons.
il faut parfois s’y plier !


.
« Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place »
Ndla : Une fois l’an toute entreprise est tenue de faire l’inventaire des stocks. Cette tâche assez rébarbative qui consiste à compter ce qu’il y a en magasin nous revenait en partie. Ce n’était guère réjouissant, n’était cette étagère dans l’atelier au dessus de la forge, qui branlait et contenait toute sorte de pièces. Chaque case avait une image, une représentation de l’objet contenu dans celle-ci et un nom : « boulon poêlier de 10 x 20 », « vis tête fraisée de 8 x 40 », « boulon six pans creux de 12 x 60 », « rivet de 6 x 20 », « dent de scie », etc… A 10 ou 11 ans nous ne songions pas aux bijections mais nous nous souvenons du plaisir de voir cette association d’une image, d’un nom inconnu et de l’objet … puis surtout de l’ensemble visuel que cela formait *. Nous nous souvenons également du plaisir malin à tenter le diable et voir jusqu’où nous pourrions plier cette étagère sans rien faire tomber.
Emerveillement et plaisirs gamins qui marquent d’une trace indélébile l’esprit vierge de toute orientation. Si mathématique il devait y avoir elle porterait la marque et reposerait sur du concret **.
Observons notre étagère !
Sur la première rangée nous l’avons seulement pliée. Remarquez la diagonale verte … elle raccourcit au pliage alors que les côtés demeurent constants. Nous aurions pu la concrétiser par un fil de latex ou de lathex. La verte se raccourcit au pliage alors que la violette s’allonge.
Sur la deuxième rangée nous avons construit un escalier s’appuyant sur la diagonale. Imaginons une fourmi qui descend cet escalier. Elle reste en contact avec les marches autant à l’horizontal qu’à la verticale. Lorsqu’elle aura descendu totalement l’escalier elle aura dans chacun des cas parcouru le même chemin ; à savoir 10 unités si chacun des côtés des cases de notre étagère (première rangée) vaut 1. Alors que la diagonale se raccourcit vers la droite.
Sur la troisième rangée nous avons augmenté le nombre de marches. Notre fourmi ne s’apercevra pas du changement et parcourra la même distance en descendant l’escalier, soit 10 unités alors que la diminution des marches rapproche l’escalier de la diagonale … qui raccourcit vers la droite.
Nous pourrions ainsi réduire le pas de chaque marche (c’est-à-dire augmenter le nombre de marches) à l’infini. Bien sûr, il faudrait sans doute passer de la fourmi au microbe mobile adhérent à la marche … mais il ne nous est pas interdit de rêver et dans le rêve tout est possible … la fourmi infinitésimale existe. Notre fourmi infinitésimale parcourrait toujours la même distance (10 unités) alors qu’elle s’approcherait de la diagonale dont on voit que la longueur varie. Y aurait-il un paradoxe ? ou quelque mystère ?
Il y a en fait quelque chose qui relève du mystère (mathstère ?) et que nous nommerons le continu.
Dans le découpage en escalier même si nous sommes allés à l’infini… cet infini était dénombrable … nous pouvions compter. Notre diagonale, ce fil de lathex, relève d’un autre infini. Nous dirons un infini d’ordre supérieur ***.
Si cela ne vous fait pas rêver, ou bien si cela ne vous émerveille pas… c’est que vous n’avez pas de prédisposition à ce genre de poésie. D’une part vous avez travaillé à découper votre escalier une infinité de fois… et rien ne changeait et si vous arriviez à sauter dans l’autre infini… le chemin aurait été plus court. C’est de la mathologie et le Grand Matheur est un malin.
« Et pourtant c’est vrai » comme aurait pu dire Galilée, puisque vous le vérifiez chaque jour… lorsque vous coupez à travers champ ou allez au plus court.
Mesure… démesure. Rassurez vous, les mathématiciens gardent bien les pieds sur terre et pour la mesure ils n’utilisent pas ce fil de lathex qui s’allonge ou raccourcit à loisir. Pour mesurer ils prennent une ficelle non élastique mais selon les cas ils changent les formules pour calculer les longueurs. Nous vous renvoyons à ce bon vieux théorème de Pythagore que vous avez sans doute côtoyé … et qu’il faut adapter dans les colonnes de droite de notre image.
Au passage vous noterez que la mesure établit un lien entre objets et nombres … deux univers bien différents.
Le continu à de quoi étonner et émerveiller.
à suivre…. le chemin est long et les détours nombreux avant de réussir à emballer les billes !… ou comprendre comment le faire.
Notes :
* Plus tard au lycée ce sera toujours un plaisir de dessiner des écrous hexagonaux. C’était du dessin industriel et pourtant nous ressentions une émotion devant un boulon bien dessiné ! ?.
** Nous retrouverons la même chose en musique qui nous semblait bien abstraite jusqu’à ce que par hasard nous entendions sur notre poste à transistor « Variations pour une porte et un soupir » de Pierre Henry…. Voilà, enfin, de la musique, … concrète … sur laquelle nous pouvions mettre une image *.
*** Cet infini là pose d’ailleurs toujours question. Georg Cantor (à la fin du 19ème siècle) qui est à l’origine de réflexions sur l’infini a même évoqué la possibilité de plusieurs infinis entre cet infini dénombrable et cet infini continu. C’est une hypothèse ou conjecture qui n’a toujours pas été réglée. Il semblerait qu’il ne soit pas possible de prouver qu’elle soit vrai ou fausse. Plus loin encore dans l’histoire, remontant à Pythagore et à son école qui se voulait d’expliquer le monde au travers des nombres « naturels » (1,2,3, ..) et les fractions (1/2, 2/3, 21/7, …) les pythagoriciens étaient bien embarrassés par cette diagonale qui n’arrivait pas entrer dans le cadre de leur théorie alors qu’ils constataient son existence et évidence. Sa longueur ou mesure n’était ni un nombre naturel, ni une fraction (cela, ils l’avaient rigoureusement démontré). Cela dépassait la raison et ils l’appelèrent nombre « irrationnel ». Cette découverte devait rester secrète pour ne pas rompre le fondement même de la Fraternité : « Tout est nombre ». « Nombre » au sens d’un entier ou d’une fraction. Jusqu’à ce qu’un des membres de la Fraternité, Hippase de Métaponte, trahisse le secret. L’historien et philosophe, Proclus (Ve siècle), déclara à ce sujet : » On dit que les gens qui ont divulgué les nombres irrationnels ont péri dans un naufrage jusqu’au dernier, car l’inexprimable, l’informe, doit être absolument tenu secret ; ceux qui l’ont divulgué et ont touché à cette image de la vie ont instantanément péri et doivent rester éternellement ballottés par les vagues. « … Ca ne rigole pas et parfois les mathématiciens peuvent se révéler sinon sectaires tout du moins exclusifs !
Note de Notes :
* si la musique concrète a trouvé un prolongement dans la musique acousmatique et si le mot « acousmatique » – remis à l’ordre du jour par François Bayle pour qualifier le fait de la séparation entre la source et la situation d’écoute – provient de l’École Pythagoricienne, il ne faut chercher aucun lien avec la géométrie ; bien que cette musique, lors de la diffusion principalement, prenne en compte la dimension spatiale. Nos préoccupations spatiales et géométriques nous ont valu et valent de tisser des liens fréquents entre espace plastico-mathématique et espace plastico-musical dans le cadre de concerts. Bien que maintenant nous pensons que nos installations ne sont plus que décor … la pratique ou le métier fait oublier les réflexions originelles qui agissent sans doute par automatisme. Lorsque nous coupons à travers champ nous ne pensons plus appliquer le fameux théorème de Pythagore. Nous aurions beaucoup à dire quant au lien qui nous rattache à la musique acousmatique, ayant découvert la musique sur notre poste de radio – situation acousmatique par excellence. Ceci a pour conséquence qu’il nous est difficile de nous accommoder aisément, lorsque nous devons éclairer un concert, de la présence de l’interprète sur scène. Sacrilège aux yeux de certains que concevoir la musique sans musicien… mais nous sommes plasticien et obscurantiste plutôt qu’éclairagiste ! Alors nous les éclairons à contre-jour… c’est un moindre mal. Nous ne vous enmailerons pas avec les fils de nos installations !